Cette phrase, on l’aura entendue plus d’une fois en courant dans les escaliers pour arriver auprès de notre patient.
D’ailleurs, comment se passe une intervention ici ?
Petit retour en arrière sur notre premier article. L’équipage se compose de 4 à 5 personnes : l’ambulancier, le chef de mission, l’éclaireur, le quatrième et éventuellement le cinquième. C’est le rôle que nous avons ici, en aidant l’éclaireur à effectuer son évaluation et à prendre les paramètres vitaux.
Lorsque quelqu’un a besoin d’une ambulance il peut composer le 140, numéro de la centrale d’urgence sanitaire. Pour la région de Beyrouth et environs, l’appel tombera au dispatch (ou opération room « OR ») de Hazmieh, que nous avons eu la chance de visiter lors de notre premier jour.
L’alarme à la station peut être donnée de deux manières : soit par téléphone, avec juste une idée du quartier le temps d’avoir plus d’informations, soit par tablette. Autant vous dire que lorsque l’une de ces deux sonneries retentit, toute l’équipe qui compose l’ambulance du prochain départ se met en mouvement et se dirige en courant jusqu’au véhicule. Une des grandes spécificités ici, c’est que les rues n’ont pas vraiment de nom et les numéros sont plutôt inexistants… C’est pourquoi ce sont les bâtiments importants ou connus qui servent de repères : une église, une mosquée, une école ou un magasin servent donc de point de guidage pour les ambulanciers (conducteurs), qui connaissent leur secteur sur le bout des doigts. Une fois arrivés à ce fameux lieu ou juste avant, un conference call est organisé avec le dispatch, le chef de mission et le requérant. Celui-ci nous guidera jusqu’à l’immeuble en nous donnant des informations sur les noms de magasins et s’il faut tourner à gauche ou à droite, etc…
Parfois c'est un proche qui se trouve au point de ralliement et nous mène, en voiture ou en scooter, jusqu’à la victime.
Nous vous laissons imaginer la détresse ressentie par l’équipage et le patient, lorsque celui-ci, désorienté, est incapable de vous donner d’autres informations, hormis qu’il a un petit balcon dans son appartement. Oui, cette situation a réellement été vécue… La solution ? Pas le voisin, car celui-ci n’arrivait pas non plus à donner plus d’informations. Heureusement, WhatsApp permet de partager sa localisation, elle sera envoyée au dispatch puis transmise à l’équipe ambulancière. Moyennant 25 minutes supplémentaires sur le temps initialement, prévu l’équipe arrivera finalement auprès du patient.
Petite photo de nous que vous puissiez quand même voir une fois à quoi l'on ressemble...
Parlons maintenant situation pratique : prenons un cas vu et revu au cours de notre formation, l’ACR (Arrêt Cardio Respiratoire).
En route l’équipe va se préparer, le CM va donner ses ordres, répartir les rôles et le matériel à prendre. L’éclaireur, lui, préparera son ballon de ventilation et son aspiration manuelle dans le sac. Sur place, l’ambulancier restera dans l’ambulance. Le CM, l’éclaireur, le 4ème et le 5ème s’il y en a un se rendront auprès de la victime. Le tout en courant, s’il vous plait.
Dans ce genre de situation, nous sommes généralement à la ventilation puis au massage. Le matériel à disposition, lui, reste basique : O2 avec ballon de ventilation, canule de Guedel et AED semi-automatique.
Leur protocole ACR est assez simple et basé sur les recommandations internationales. 3 analyses sont effectuées sur place, 4 s’il s’agit d’un rythme choquable, puis le transport est à effectuer dans un délai de 90 secondes jusqu’à l’ambulance ou en effectuant 5 cycles de 30:2 au milieu de la relève, si le timing est supérieur. La relève s’effectue généralement avec la civière à aube, sauf à la station 102 qui a mis au point une « bâche » leur permettant de gagner du temps et de l'efficacité.
Si on court les mains vides pour aller auprès du patient, autant vous dire qu’on court avec le patient dans les mains pour retourner à l’ambulance. Le « Load & Go » prend une toute autre dimension ici…
Dans l’ambulance le transport s’effectue bien évidement sous réanimation. Comment faire ? Une personne assise sur la banquette et attachée, ceinture son collègue par la taille pendant qu’il effectue son massage. Le conducteur annonce chaque virage pour que le « masseur » puisse anticiper. Autant vous dire que malgré les annonces et l’anticipation ça bouge beaucoup (vraiment beaucoup). A la tête une personne s’occupe des ventilations.
Démonstration pour vous, de la part de Jean-Marc, Rayanne et Marc sur la technique de transport sous réanimation.
Nous vous parlons d’ACR car nous avons tous les deux vécus des interventions de réanimation cardio-pulmonaire ici, au Liban. D’ailleurs l’épilogue de l'une d'elles s'est avéré pour le moins inattendu.
Mathias s’est rendu sur un ACR. Des signes de rigidités cadavériques étant présents, la cheffe de mission contacte le médecin responsable, qui, après quelques questions, prend la décision d’arrêter les manœuvres de réanimation, le tout par téléphone, car les secouristes n’ont pas la possibilité de prendre ce genre de décision. A la suite de cela, la CM part discuter auprès de la famille. Nous continuons les manœuvres durant le temps de dialogue avec les proches. Deux possibilités sont données à la famille : le transport à l’hôpital pour y prononcer le décès (qui doit se faire sous réanimation) ou l’appel à un médecin de famille qui se déplacera pour effectuer cette tâche. La situation se déroulant dans un quartier pauvre de Beyrouth, la famille décidera de choisir la deuxième option, qui lui reviendra moins cher.
Une heure plus tard c’est Alain qui part pour un ACR, une patiente qui sera transportée à l’hôpital sous réanimation, où le décès sera finalement prononcé. Mais en rentrant en centrale nous nous rendons compte que nous avons effectué une réanimation sur la même patiente avec une heure d’intervalle, d’autres membres de la famille s’étant rendus sur place et ayant fait appel à une ambulance lorsqu’ils ont vu la victime.
Nous n’aurons pas le fin mot de cette histoire, mais il est probable que la deuxième option soit finalement plus coûteuse que la première, raison pour laquelle l’ambulance a été appelée une deuxième fois… c’est aussi ça la réalité libanaise actuelle. Notre secteur d’intervention se divise en plusieurs parties dont le quartier le plus riche de Beyrouth,
avec ses buildings et ses ascenseurs en total opposition avec les quartiers pauvres où les immeubles sont vétustes et les marches à moitié cassées.
En plus de ce genre d’intervention, nous effectuons des hypoglycémies dans des caves
d’immeuble où des gens vivent dans des conditions très précaires et où il est impossible de se tenir debout; des accidents de la voie publique avec des motards victimes de TCC sévères ou modérés, liés au manque de règles de sécurité routière et au port du casque quasi inexistant; des patients âgés, sans suivi médical, présentant des dyspnées, des sepsis ou de simples fièvres. Nous avons également dû faire face à un accouchement inopiné d’un prématuré et à une éviscération post-opératoire.
Les urgences ressemblent donc à ce que nous pouvons retrouver en Suisse, malgré quelques cas qui doivent être très rares au sein notre pays. Ce qui est fascinant et nous touche beaucoup, c’est l’énergie et le choix des mots qu’utilisent chaque jour ces secouristes pour accompagner leurs patients et les aider à surmonter leurs maux.
Mathiaz & Alainps
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