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Photo du rédacteurFlorian Ozainne

Détresse psychosociale : complexité et défi de l'enseignement à la pratique professionnelle.

Dernière mise à jour : 18 déc. 2020


"Ils ont reçu une des meilleures formation technique et médicale au monde. Pourtant sur le terrain, les ambulanciers vont devoir faire face à des situations psycho sociales qui ne nécessitent ni trousses d’urgence, ni brancards".

Introduction élogieuse du reportage réalisé par Nicolas Pallay pour le magazine santé 36.9° de la RTS.


En revanche le reportage, très bien réalisé au demeurant, met en lumière une réalité bien différente: les sentiments d'impuissance, de frustration et d'épuisement compassionnel face aux interventions non urgentes où les soins ne sont pas techniques, mais bien plus complexes à gérer.


Dans son ouvrage "De la complexité dans la relation thérapeutique : l'approche autopoïétique", David Tordeurs évoque qu'en matière de relation humaine "La complexité est la règle, la simplicité l’exception" (Tordeurs et al., 2007).


Nous sommes bien placés pour le savoir, puisque l'ensemble des enseignants sont ambulancières - ers, infirmière spécialisée en soins d'urgence avec un joli cumul de 140 ans d'expérience clinique.


Alors comment avons-nous raté une évidence pareille ? Qu'y a-t-il dans l'enseignement qui aborde cette complexité des relations humaines ? Quels outils sont proposés aux étudiants ?


Prévention primaire et formation initiale

Tout d’abord il est bon de relever que le meilleur moyen de souffrir de stress post-traumatique, c'est de ne pas savoir quoi faire dans une situation urgente qui requiert des soins vitaux. A ce propos, la formation a considérablement évolué ces 20 dernières années, limitant ainsi l'impact vertigineux du sentiment d'impuissance, de culpabilité et de honte que l'on peut ressentir à la suite d'un décès parce que nous n'avons pas su faire, pas fait juste, pas compris la situation.

Alors oui, nous passons beaucoup de temps à apprendre à gérer au mieux les urgences vitales. Un défi à réaliser en 3 ans.


A ce propos et pour rebondir sur l'introduction du reportage : " les jeunes urgentistes, à peine sortis de formation, se sentent parfois démunis (ndlr : on note qu'on est passé d'un gouffre insondable entre la formation et la réalité du terrain à parfois démunis). Les rapports humains, ça ne s’apprend pas forcément à l’école.


Cet aspect nous en sommes aussi conscients : "on soigne avec ce qu'on est " ! Il est question ici de développement personnel. Les situations psychosociales complexes requièrent une certaine maturité personnelle et professionnelle. Les étudiants "grandissent" d'une manière accélérée entre la première année de formation et le jour de la remise de leur diplôme. Nous les voyons changer, physiquement et bien entendu psychologiquement à l'épreuve du milieu, parfois toxique, dans lequel nous les plongeons. Donc espérer gérer (pour autant que cela soit possible) des situations de détresse psychosociale comme la violence conjugale, des conflits familiaux, la grande précarité en sortant de la formation est illusoire. Pour pouvoir répondre à cette exigence, à deux, la nuit, dans des situations de crise, il faut plutôt se tourner vers une autre formation comme la haute école de travail social. Et nous doutons que le premier jour de travail dans ce domaine on laisse des jeunes professionnels gérer seuls ce type de situation.


La première année post-diplôme il faut assumer la responsabilité, au sens moral, comme médico-légale, de la personne dont nous prenons soin. Cet apprentissage ne peut se faire qu'à l’épreuve des dures réalités de la vie professionnelle. Annoncer le décès d'un proche, soutenir une personne qui, à la suite d'un accident, parfois bénin voit ses projets de vie chamboulés, trouver les mots qui apaisent quand une personne âgée quitte son domicile avec la certitude de ne jamais pouvoir y revenir. Nous entrons cette fois dans un autre réalité, impossible à mettre en scène "à l'école" (quoique cf. paragraphe suivant), celle de la solitude du soignant face à ses peurs, face à son désir d'aider déçu par l'impossible équation à résoudre, face à son impuissance. Le soignant n'est parfois qu'un compagnon d'impuissance (Piveteau, 2009).

Et alors les ambulanciers.ères vont rejoindre les autres soignants face aux effets de l’épuisement professionnel, compassionnel et peut-être malheureusement jusqu'au Burn-out. Cette réalité est décrite dans bien des ouvrages aux titres évocateurs comme ce chapitre de la souffrance des soignants : " Et consumé par le soin, quand le soignant s'éteint" (Delieutraz, 2018) .


Notre école est sensible à ce constat et se donne les moyens de préparer au mieux les futurs ambulancières et ambulanciers. Voilà ce qui est fait avant et durant dans la formation (ex. 2020) :


Depuis près de 20 ans, la sélection des candidats à la formation de soins ambulanciers est mesurée par des tests psychotechniques. L'école cherche par ce biais à affiner la sélection en validant le choix d’un candidat et en s’assurant qu’il possède bien les compétences comportementales et sociales requises pour le métier.

Une série de tests (efficience, raisonnement, logique, aptitudes personnelles, professionnelles, valeurs et émotions) permet au comité d'admission une certaine vue d'ensemble sur la qualité et compétences du candidat. Elle permet également de porter un certain regard sur la capacité de résistance au stress et environnementale

Le comité d'admission poursuit son choix avec des entretiens où le candidat partage ses expériences, ses motivations et répond aux questions posées. Finalement, le choix d'une vingtaine de candidats ne se porte pas uniquement sur ses capacités cognitives, mais également sur sa personnalité et ses capacités psycho-sociales importantes à la pratique de la profession.


1ère année, par Caroline Jacot :


Les étudiants arrivent en 1ère année avec leurs expériences de vie, jalonnées par des stages en pré-hospitaliers ou hospitaliers, ou encore des voyages humanitaires à la rencontre de l'autre et du vivant. Dès ces moments privilégiés avec l’autre, l’Humain, ils se rendent compte de la beauté du partage mais aussi de la difficulté de trouver les mots et la posture pertinentes quand une personne est souffrante. Par brides, par-ci, par-là, ils se construisent et font leur première expérience au contact des différents facteurs humains.

Puis, ils sont « catapultés » au début d'une formation exigeante et passionnante, d'un métier pour laquelle l’Humain est au centre .

Dès leur 1ère année de formation, les étudiants tirent profit du module psycho-social, qui d'ailleurs se développe encore aujourd'hui. Outre les thèmes inhérents à la formation de base, comme la psychologie de l’Humain, la personne âgée, la communication ou la relation d’aide, l'impact psychologique du métier d'ambulancier, l'approche psychiatrique APEX, d’autres thèmes se sont rajoutés. Nous offrons quelques périodes aux étudiants afin qu'ils puissent se familiariser avec des simulations pratiques riches en apprentissages.

Depuis trois ans, nous avons construit ce module par une approche psycho-philosophique où les différents facteurs humains sont essentiels à la compréhension de l’Humain lui-même et de nos processus de pensées. Nous avons, par exemple, programmé des périodes sur un thème bien ancré dans notre société mais aussi dans notre profession de soins ambulanciers: les discriminations-stéréotypes-préjugés. Depuis cette année, nous développons également les sujets de la posture professionnelle et de la communication thérapeutique. Ces dernières sont des composantes essentielles pour accueillir leurs futurs patients(-es) dans tous leurs maux.


2ème année, par Florian Ozainne:


La deuxième année de formation est un gros morceau de la formation sur le plan théorique et pratique. On y aborde l'enseignement des rudiments du raisonnement clinique, des traitements des pathologies et traumatismes graves chez l'adulte et l'enfant. Les apports théoriques concernant les urgences psychosociales comprennent: l’approche psychosociale de la toxicodépendance, un témoignage d'une personne cérébrolésée, un cours sur le stress post-traumatique, un autre sur l'accompagnement des personnes en fin de vie et l'assistance au suicide, ou encore un cours sur la maltraitance infantile. Plus récemment, des cours sur la communication thérapeutique et l’hypnose pour affiner la relation d'aide aux personnes souffrant de douleurs ont été ajoutés.

Mais pour ne pas rester que sur des contenus théoriques, nous mettons en scène des situations où les demandes des personnes ne sont ni médicales ni traumatiques:

une personne vivant dans la rue qui dérange dans un quartier aux luxueuses villas, une migrante ne parlant pas français qui ne demande rien si ce n'est qu'on la laisse tranquille. Cette année les étudiants ont d'ailleurs réalisé cette année une simulation allant dans ce sens (cf. photos de cet article). Puis nous proposons trois ateliers plus spécifiques qui mettent les étudiants à rude épreuve lors d’arrêt de réanimation où le défi est purement relationnel. Pour ne pas jouer aux apprentis sorciers dans ces situations, on fait appel à des psychologues pour débriefer ces aspects psychologiques: un apprentissage par l'expérience riche (parfois un peu trop immersif). L'année se termine avec trois situations en collaboration avec le SMUR de pédiatrie, où, au-delà de l'aspect technique des soins à un enfant traumatisé, le défi consiste à encadrer les parents présents sur le lieu de l'accident. Deux comédiens jouent ce rôle. A nouveau c'est une forme d’apprentissage par l'expérience très riche d’enseignements. D'autres animations permettent également de sortir du champ des urgences somatiques et explorer l'univers des richesses des relations humaines: par exemple une soirée d'échange avec les préadolescents du quartier du Grand-Saconnex, où ces jeunes cuisinent pour nos étudiants en échanges de l'apprentissages des gestes de premier secours. Une soirée, après la visite du musée de la Croix-Rouge (un enseignement en soi) avec des personnes malentendantes pour travailler sur la manière de communiquer au mieux avec d'autres canaux que la voix.


3ème année, par Laurent Jampen :


Lors de leur 3ème année d'étude, nous demandons à nos étudiant(e)s de partager des situations vécues en stage où la relation d'aide, et les émotions qu'elles suscitent, les ont marqué. Ces expériences sont partagées en petits groupes en classe avec un psychologue et un enseignant. Les objectifs sont, d'une part, de contribuer au débriefing psychologique qui n'a pas toujours été complet et, d'autre part, d'expliquer les attitudes évoquées en mettant le doigt notamment sur les pièges de la pensée qu'il serait judicieux d'identifier et d'éviter.

Ce moment comprend également des apports philosophiques comme pistes de solutions.

Des cours en Santé Mentale et des ateliers pratiques sur la prise en soins des patients en décompensation psychiatrique sont également proposés à plusieurs reprises par des infirmières en psychiatrie.

Nous proposons également des situations où les objectifs principaux sont des aspects relationnels comme par exemple, accompagner la mort et non-plus sauver la vie.


Formation sur le terrain

Dans ce reportage, il est beaucoup question des reproches fait à l’attention de la formation à "l'école". Mais l'ensemble de ces professionnels semblent oublier de valoriser que 50 % de la formation se passe soit dans des services hospitaliers soit dans des services d’ambulances. Il est donc aussi question de comment exploiter ces situations vécues sur le terrain pour au mieux armer les professionnels de demain.


UMUS Unité mobile d’urgences sociales

Pour terminer, nous pensons qu'il serait judicieux de développer un maillon manquant de la chaine des secours pour ces situations psycho-sociales. Il existe par exemple déjà l'unité mobile d'urgences sociales UMUS à Genève, disponible de 17:00 à 8:00 la semaine et 24/24 le week-end. Il serait peut-être utile d'étendre ces horaires à la journée et d'en augmenter la dotation en personnel et d'y intégrer des ambulanciers expérimentés, comme à Lausanne (EMUS), pour bénéficier de leur compétences acquises sur le terrain et de leur expertise médicale.


La formation est parfaitement imparfaite (comme tout être humain) et nous travaillons à mieux intégrer ces dimensions psychosociales dans nos cours. Mais le chemin, vers le développement de compétences opérationnelles à la sortie de la formation, est long. Peut-être même l'œuvre d'une carrière ?


En guise de conclusion, la citation de Louis Pasteur ou d'Hippocrate semble bien appropriée afin de remettre les besoins de la personne soignée et la mission des soignants au centre du débat : "guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours".


L'équipe pédagogique et direction.


Photos : Meloni, 2020.

Figurante : Nathalie Hauri.

Etudiants : Lucie Deschenaux, Emma Bandini, Benjamin Orange.

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